Ici l’ambiance est à la fête et à la joie, normale à l’arrivée d’un bébé. Ce thème cher à Lc déborde pourtant les simples joies familiales. Depuis le début du livre, les ‘cercles de joie’ s’élargissent : la joie que l’ange annonce à Zacharie, puis celle d’Élisabeth accueillant Marie, qui répond par un chant de joie au Seigneur.
La naissance de Jean (Lc 1,57-66. 80)
(Devenue enceinte, Élisabeth dit : “Voici ce que le Seigneur a fait pour moi, il a jeté les yeux sur moi pour ôter ma honte publique.” 1,25)
57 Quand fut accompli le temps où Élisabeth devait accoucher, elle enfanta un fils. 58 Ses voisins et ses proches apprirent que le Seigneur avait fait éclater sa compassion envers elle et ils se réjouirent avec elle.
59 Le huitième jour, ils vinrent pour circoncire l’enfant.
Et ils l’appelaient Zacharie, du nom de son père.
60 Mais sa mère prit la parole et déclara : “Non, il sera appelé Jean.”
61 Ils lui dirent : “Mais personne dans ta parenté ne porte ce nom-là !”
62 Ils demandaient par signes à son père comment il voulait qu’on l’appelle.
63 Il réclama une tablette et écrivit : “Jean est son nom”.
Et tous furent étonnés.
64 À l’instant même, sa bouche et sa langue furent libérées : il parlait et bénissait Dieu. 65 La crainte saisit alors tous les voisins, et dans toute la région montagneuse de Judée, on s’entretenait de tous ces événements.
66 Tous ceux qui en entendaient parler les mirent dans leur coeur, en disant : “Que sera donc cet enfant ?”
Et en effet, la main du Seigneur fut avec lui. (v. 67-79)
80 Or l’enfant grandissait et son esprit se fortifiait. Et il fut au désert jusqu’au jour de sa manifestation à Israël.
Un peu de vocabulaire
La stérilité du couple était un malheur pour la femme, considérée comme responsable, et son mari était incité à la répudier après dix ans de mariage sans enfant.
Élisabeth (hébreu Eliy-sheba) : ‘mon Dieu tient promesse’ ou ‘mon Dieu est plénitude’ (El : Dieu ; le i sert d’article possessif).
Zacharie (Zakar-yah) : ‘le Seigneur se souvient’ (‘se souvient-Yahvé’).
Jean (Yo-hannan) : ‘le Seigneur fait grâce’. Le nom avait été indiqué à Zacharie par l’ange qui lui a annoncé la naissance d’un fils (1,13).
La circoncision incorpore l’enfant dans la communauté de l’Alliance. Ce rite obéit à la consigne donnée à Abraham, quand Dieu a changé son nom, pour refléter son rôle à venir, et lui a promis son alliance avec lui et ses descendants (Gn 17,3-14 — on peut revisiter ce récit dans le carnet d’automne 2016).
Le prêtre Zacharie est nécessairement issu de la tribu de Lévi, et d’une famille sacerdotale, où on est prêtre de père en fils. Même sans être un chef de prêtres, il joue un rôle très honoré de tous, et qui ne se refuse pas. (Voir feuillet sur le monde juif p. 3, les paragraphes sur le clergé).
A) Se situer dans le récit (réflexion personnelle, sans échange)
Quand on choisit le nom d’un bébé, qu’est-ce qu’on trouve important ?
B) Explorer le récit d’Évangile
Repérer le thème de la Joie, qui est si important en Lc. On peut voir ici, entre autres, sa dimension communautaire.
Peut-on se rappeler d’autres récits de Lc qui parlent de la joie ?
– Observer le poids des coutumes établies et l’audace d’Élisabeth.
– Voit-on un lien entre le rôle de la prise de parole d’Élisabeth ici et dans le récit de la Visitation exploré en décembre dernier ?
– Repérer les liens qui sont faits entre un événement qui ne serait que familial, à première vue, et l’oeuvre de salut de Dieu pour son peuple. De même pour le sens des noms propres et l’histoire du salut à l’oeuvre.
– Comment le récit montre-t-il que Dieu surgit souvent dans l’imprévu ?
- C) Éclairer ma vie à la lumière de l’Évangile
Comment ce récit peut-il éclairer mes expériences, familiales ou autres, de la naissance d’un enfant ?
Peut-il nous inspirer aussi dans notre manière de réfléchir sur l’avenir auquel on pense pour le nouveau-né ?
- D) Éclairer mon cheminement spirituel
Le récit invite à dépasser le cadre de la famille, pour orienter notre regard vers les signes de la présence vivifiante de Dieu dans la société plus large, et même dans l’histoire. Peut-on reconnaître ces signes nous aussi ?
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Le récit de l’annonce de la naissance de Jean offre un complément intéressant aux gens qui voudront explorer davantage.
Voici divers éléments que vous pouvez observer en Lc 1,5-25.
– Ce qui est dit à propos du couple et de sa relation à Dieu.
– Le contexte de l’annonce : Zacharie est en service au temple.
– Ce qui est annoncé à propos de Jean, de son avenir et de son rôle.
– Zacharie hésite à croire en la parole de l’ange. Il aurait dû se rappeler Abraham et Sara, ce couple fondateur du peuple à qui Dieu a donné d’enfanter Isaac à un âge avancé.
Conséquence de son doute : il sera muet jusqu’à ce qu’il ait écrit le nom de son fils.
– À l’opposé de ce doute, la foi spontanée d’Élisabeth (1,25) lui a fait reconnaître et nommer la compassion de Dieu envers elle. C’est elle aussi qui, lors de la visitation, exprimera le salut caché en Marie et qui la déclarera bienheureuse parce qu’elle a cru.
La naissance de Jean (Lc 1,57-66. 80) — Pour aller plus loin
C’est le seul récit où on peut projeter l’image du petit blond bouclé de nos anciens défilés de la St Jean. Le Jean des Évangiles sera bien différent !
Ici l’ambiance est à la fête et à la joie, normale à l’arrivée d’un bébé. Ce thème cher à Lc déborde pourtant les simples joies familiales. Depuis le début du livre, les ‘cercles de joie’ s’élargissent : la joie que l’ange annonce à Zacharie, puis celle d’Élisabeth accueillant Marie, qui répond par un chant de joie au Seigneur (1,14 ; 1,44 ; 1,46-47). Ici on voit la joie communautaire qui déborde la famille vers les voisins. Ils perçoivent le signe que Dieu “a fait éclater la grandeur de sa compassion pour elle”, comme jadis pour la vieille Sara, mère d’Israël (Gn 18,1-15). Viendra enfin la “grande joie pour tout le peuple” annoncée par l’ange dans la nuit de Noël (2,10-11). Joie déjà esquissée dans la finale ici : l’événement familial irradie dans la région autour, il déborde jusque vers les lecteurs. Ce thème théologique de “la joie de l’Évangile”, selon les mots du pape François, c’est la joie qu’on éprouve devant les signes de l’amour de Dieu.
Lc propose en Élisabeth un personnage fort, à imiter. Il souligne souvent l’importance du rôle des femmes dans l’oeuvre du salut, dans son Évangile et son livre des Actes. La louange en 1,25 montre déjà qu’Élisabeth discerne dans sa grossesse l’amour de Dieu. Au récit de la Visitation, habitée par l’Esprit, elle reconnaît et nomme le mystère de Dieu à l’oeuvre dans l’inattendu. Ici, elle prend le relais de son mari muet pour s’imposer avec audace et proclamer l’inédit de Dieu dans le nom du nouveau-né.
On va de surprise en surprise, dans ce récit : étonnement joyeux devant la grossesse de la femme âgée, puis étonnement choqué par son intervention sur le nom du fils. Et finalement tout le peuple alentour s’étonne de ces événements et s’interroge sur l’avenir.
Le contexte de la circoncision évoque le poids des coutumes et de l’ordre établi. L’enfant est nommé Zacharie, comme son père. Élisabeth “prend la parole et déclare”, alors que les hommes réunis pour la cérémonie ne lui demandent pas son avis, même si le père est muet ! Pire : Élisabeth ose proclamer un nom absent de la lignée familiale. On donnait plus souvent au premier fils le nom du grand-père. Mais parfois celui du père si celui-ci souffrait d’une infirmité. Or Zacharie est muet depuis qu’il a douté de la parole de l’ange lui annonçant un fils (1,20). Et peut-être sourd aussi, car les voisins lui parlent par signes.
Nous préparons à l’avance le nom d’un bébé : il marquera sa naissance sociale, sa place dans le groupe, le langage et la culture. Il exprimera l’identité personnelle : ce sera son ‘nom propre’, qui le situera comme unique dans sa relation aux autres. Et on tâchera d’éviter que l’enfant soit la pure projection de ses parents. Mais on sait comme il est tentant de reporter sur l’enfant, plus ou moins consciemment, la tâche d’accomplir ce que le parent n’a pas réussi. Une sorte de transfert de destin. Ce risque menace l’enfant de Zacharie et Élisabeth ici. Un fils clone de son père, dont le destin est tracé d’avance par l’héritage familial. Un noble destin, d’ailleurs : le fils du prêtre Zacharie sera sûrement prêtre lui aussi !
À ce poids de l’ordre établi Lc oppose, dans la déclaration d’Élisabeth, la nouveauté du salut qui vient. On comprend l’étonnement des gens : malgré les traditions sociales et les contraintes familiales, la nouveauté surgit ! L’avenir de cet enfant n’est pas tracé d’avance mais ouvert sur de l’imprévu, du non planifié. C’est le surgissement de l’inattendu de Dieu.
Pour Lc les événements qui manifestent le salut sont l’effet des “entrailles de compassion de Dieu” pour nous, comme Zacharie le chantera peu après (1,78). Ce beau cantique donne au récit de la naissance de Jean sa portée théologique et catéchétique. Le salut déborde ce vieux couple et s’inscrit dans la grande histoire de l’Alliance et du salut de tous. Le Seigneur ‘se souvient’ de son Alliance avec Abraham, et il ‘remplit sa promesse’ (1,72-73), comme en témoigne le sens des noms Zacharie et Élisabeth.
L’insistance sur le surgissement d’un nom auquel personne ne s’attend, annonce un dépassement de ce que signifient les noms de ses parents. Jean vivra au désert et non au Temple, préparant le peuple pour la venue de Jésus. La venue de celui qui incarnera la réalité signifiée par ce nom ‘Jean’, ‘Le Seigneur fait grâce’. Jésus témoignera de ce Dieu qui cherche et trouve ceux qui sont perdus, et qui invite à partager sa joie (Lc 15).
Ainsi, ce récit ne nous invite pas à nous réjouir d’une lointaine naissance, mais plutôt à nourrir notre joie devant les signes actuels de salut et l’intérêt que le Dieu de la Vie nous porte encore aujourd’hui. L’avenir de Dieu fait toujours du neuf !