D’habitude la lecture porte sur Marie. Pourquoi se hâte-t-elle ? on valorise souvent sa charité envers sa vieille cousine. Mais on oublie la fin du récit de l’Annonciation : la grossesse d’Élisabeth est le signe que l’ange lui a donné pour qu’elle le voie (v. 36s). Marie se hâte vers ce signe, vers sa compagne dans la fécondité de Dieu.
L’humanité porteuse de Dieu (1,39-45)
En ces jours-là Marie partit en grande hâte vers une ville dans les montagnes de Judée. 40 Elle entra dans la maison de Zacharie et salua Élisabeth.
41 Or quand Élisabeth entendit la salutation de Marie, l’enfant bondit dans son ventre.
Élisabeth fut remplie de l’Esprit Saint 42 et s’écria d’une voix forte :
“Tu es bénie entre toutes les femmes, et le fruit de ton ventre est béni !
43 D’où m’est-il donné que la mère de mon Seigneur vienne auprès de moi ?
44 Car lorsque ta salutation est arrivée à mes oreilles, le bébé a bondi d’allégresse dans mon ventre.
45 Bienheureuse celle qui a cru à l’accomplissement des paroles qui lui furent dites de la part du Seigneur !”
46 Alors Marie dit : “Mon âme glorifie le Seigneur 47 et mon esprit est rempli d’allégresse pour Dieu mon Sauveur ! 48 Parce qu’il a jeté les yeux sur l’abaissement de sa servante. Oui, désormais toutes les générations me diront bienheureuse, 49 car le Tout Puissant a fait pour moi des merveilles. Saint est son Nom !”
Un peu de vocabulaire
Élisabeth : de l’hébreu Eliysheba : ‘Dieu de plénitude’ ou ‘Dieu de la promesse’. Elle et Zacharie sont dits ‘justes devant Dieu’. Mère de Jean le Baptiste, elle a reconnu un acte de salut de Dieu dans sa grossesse à un âge avancé (1,25).
Bénédiction : style biblique de l’AT, toujours un cri d’émerveillement et de joie proclamant que Dieu a comblé quelqu’un de sa faveur.
Béatitude : style biblique proclamant le bonheur de qui fait confiance à Dieu (Ps 2,12 ; 34,8 ; 106,3) ou à qui Dieu a donné (Ps 32,1 ; 33,12).
- A) Puiser dans notre vie (bref échange au besoin)
– Se rappeler (ou imaginer) l’expérience de sentir bouger un bébé dans votre ventre, ou dans le ventre de sa maman. Ressentir la vie.
- B) Explorer le récit d’Évangile
– Observer l’effet que l’Esprit produit sur Élisabeth.
– Repérer ce qu’elle dit de Marie et de Jésus. Observer l’importance de son rôle : sa parole nomme le mystère enfoui dans les corps.
– Pourquoi Marie est-elle dite “bienheureuse” ? Quelle est sa réaction ?
– Repérer les indices du thème de la joie.
- C) Éclairer ma vie à la lumière de l’Évangile
– On vit toutes sortes de fécondité. Identifier des moments où on la ressent dans tel ou tel aspect de notre vie. Est-ce source de joie ?
– Ma fécondité me fait-elle connecter avec la fécondité des autres ?
– Peut-on reconnaître la fécondité de Dieu à travers nous ?
– C’est à travers sa grossesse qu’Élisabeth perçoit le don de Dieu dans Marie. Peut-on valoriser le corps comme lieu où on peut parfois sentir la présence de Dieu avec nous ? Incluant l’expérience de la souffrance.
- D) Éclairer mon cheminement spirituel
– Noël célèbre l’Incarnation : la venue de ‘Dieu-avec-nous’, appelé en Jn 1,14 la ‘Parole faite chair’. Que m’inspire ce texte pour vivre Noël ?
Puis-je mettre en lien la joie qui jaillit ici avec celle que l’ange annonce aux bergers ? (2,10)
– Pouvons-nous voir en Marie et Élisabeth les figures d’une humanité porteuse de la présence de Dieu ? Une présence cachée, dont on peut parfois reconnaître les signes ? Une présence à nommer ?
Si, comme Marie, on chantait notre joie de Dieu, on mettrait quoi dans notre Magnificat ?
Pour aller plus loin — L’humanité porteuse de Dieu (1,39-45)
Ce récit met en scène des thèmes importants de l’Évangile de Luc : l’Esprit, des femmes croyantes et la joie du salut accueilli comme don et gratuité de Dieu. (cf. introduction sur l’Esprit et les femmes p.6-7)
D’habitude la lecture porte sur Marie. Pourquoi se hâte-t-elle ? on valorise souvent sa charité envers sa vieille cousine. Mais on oublie la fin du récit de l’Annonciation : la grossesse d’Élisabeth est le signe que l’ange lui a donné pour qu’elle le voie (v. 36s). Marie se hâte vers ce signe, vers sa compagne dans la fécondité de Dieu.
Attirer l’attention des gens sur certains traits du récit :
– C’est le personnage d’Élisabeth que le récit valorise : c’est elle qui parle et donne le sens des événements, et qui donne les titres adéquats à Marie et à son foetus, qui révèle l’identité cachée, invisible.
– Son expérience physique est mis en avant : racontée par le narrateur et répétée dans une parole qui en dira la signification. Le corps est donc très présent (le mot “ventre” répété 3 fois), et présenté comme lieu d’une expérience intérieure, spirituelle. Elle entend la salutation de Marie pas seulement avec ses oreilles mais avec son ventre et son foetus, qui tressaille de joie.
– Élisabeth va amener à la parole le sens théologique de ce qui est vécu dans le secret du corps, le ressenti, l’émotionnel et l’intériorité profonde. On pourrait dire que dans ce récit, ‘la chair devient parole’. Car il ne suffit pas, pour nous non plus, de vivre ou ressentir la présence de Dieu. Le vécu, incluant même le corps dans sa souffrance, doit devenir source de notre parole pour déployer tout son sens.
– L’Esprit lui donne de discerner l’action de Dieu dans ce qui arrive et de le proclamer, un peu comme à la Pentecôte ; il aide à reconnaître les traces de Dieu, même les plus humbles, et à s’en réjouir.
Entendre est un verbe clé de l’expérience croyante selon la Bible, bien plus que “voir” : on ne peut voir Dieu ni en faire d’image. La prière quotidienne au 1er siècle est le Shema : “Écoute Israël, le Seigneur ton Dieu est l’unique” (Dt 6,4-9). Entendre renvoie au vécu intérieur, à ce qui résonne en nous. Plus encore dans ce récit qui insiste sur l’intériorité physique comme reflet de l’intériorité spirituelle.
Lc introduit son Évangile en parlant des “témoins devenus serviteurs de la Parole”. Dans ce récit, Élisabeth enclenche un mouvement de paroles qui fait d’elle la précurseure de cette chaîne de témoins.
À la fin, Élisabeth proclame une béatitude sur Marie, non pas comme mère mais comme croyante en la parole venue de Dieu. Pour Lc, la foi de Marie est encore plus important que sa maternité. En 11,27, une femme de la foule crie à Jésus : Heureuse celle qui t’a porté dans son ventre et t’a donné le sein ! Il répond Heureux plutôt qui écoute la parole de Dieu et la garde !
Jusque là la conception de Jésus était virtuelle, objet d’une annonce. Élisabeth révèle au lecteur que l’annonce est accomplie : la présence de la Bonne Nouvelle cachée dans le corps opaque de Marie. Du point de vue du personnage ‘Marie’ (au plan du récit) la parole d’Élisabeth est un déclencheur : l’effet qu’elle-même a produit sur sa cousine lui est dit et vient confirmer ce qui se passe en elle, ce à quoi elle avait cru. Le signe donné par l’ange fonctionne donc. Ce n’est qu’après avoir entendu la parole interprétante d’Élisabeth que Marie prend enfin la parole sur le sens de ce qu’elle vit. Sa parole n’est pas une réponse à sa cousine mais à Dieu, à qui elle exprime elle aussi son intériorité (v. 46-55).
Je vois dans le personnage narratif Élisabeth une sorte de métaphore. Le premier temps vécu est la conscience d’être “visitée” par la Bonne Nouvelle du don de Dieu. Il y a déjà en elle, comme en chaque personne, quelque chose qui peut entrer en écho avec cette Bonne Nouvelle et y reconnaître la présence de Dieu. L’humanité est déjà porteuse d’une aptitude à Dieu, même une vieille humanité fatiguée et stérile, car nous sommes créés à son image.
Quand la rencontre arrive, c’est une conscience intérieure qui tressaille au fond de notre propre mystère ; ça ne se voit pas. Cette expérience doit venir à la parole, être nommée, pour nous-mêmes et pour les autres. Pour qu’eux aussi puissent reconnaître leur expérience de Dieu et proclamer la Bonne Nouvelle dans leur propre parole.
Ces deux femmes enceintes et heureuses, croyantes et capables de nommer le salut de Dieu, sont pour moi figures de l’humanité : une humanité mystérieusement enceinte de la présence active de Dieu, dans le secret des cœurs. À nous d’en discerner les signes.